A propos du communiqué de la SRF du 18 avril 2014

Mesdames et messieurs du conseil d’administration de la SRF, les techniciens signataires de cette pétition ont voulu vous dire que vous faisiez fausse route en vous attaquant à la convention collective du cinéma.

En publiant un communiqué pour y répondre, vous faites un pas supplémentaire sur cette route sans issue, un pas qui nous éloigne dangereusement les uns des autres.

Vous dites que cette convention "est née sous de très mauvais auspices", d’une "alliance" entre un syndicat de producteurs/exploitants (l’API) et un syndicat de techniciens (le SNTPCT), qui s’arrangeraient bien de la disparition des films d’auteur, encombrant les écrans de l’un et tirant à la baisse les salaires pour l’autre. Cette interprétation des faits, habilement répandue depuis janvier 2012, fournit à bon compte une explication simple des "raisons cachées" de cet accord, ainsi frappé à l’encre indélébile du pêché originel. Mais comme toute théorie du complot, c’est une construction, loin de la réalité.

Si vous aviez suivi les très longues années de négociations, vous sauriez que ce texte a été âprement débattu, que les associations de techniciens en ont attentivement suivi les évolutions et qu’elles ont fait connaître leurs positions auprès des syndicats. Que cet accord n’a pas été signé par le seul SNTPCT, mais par tous les syndicats de salariés, à l’exception de la CFDT qui ne compte aucun technicien du cinéma parmi ses syndiqués.

Vous sauriez également que son contenu a été en grande partie rédigé par un autre syndicat de producteurs, l’APC. Et que leurs membres continuaient d’appliquer les fameux "tarifs syndicaux" issus de la convention - non étendue - de 1950, dont ils étaient les héritiers, mais voulaient utiliser la négociation pour obtenir des rabais salariaux, ce qui a occasionné des années de blocage.

Pas d’alliance, donc, ni de complot, mais un compromis, sous la pression de gouvernements successifs qui voulaient que l’ensemble du spectacle vivant et enregistré soit couvert par des textes conventionnels étendus. Seul, le cinéma n’était pas parvenu à un accord. Et depuis 2003, le Medef menaçait de supprimer le régime chômage spécifique des salariés intermittents si tous les secteurs du spectacle n’étaient pas réglementés.

Vous dites que ce texte est "profondément maximaliste". Si vous étiez moins politiquement corrects, et plus directs, vous diriez : "les techniciens sont trop payés". Nous l’avons entendu, exprimé aussi brutalement par certains d’entre vous qui dénonçaient "un accord pour les riches patrons du cinéma et leurs riches employés".

Profondément maximaliste, la limitation des cumuls d’heures supplémentaires, jours fériés, heures de nuit... à 100% ? Profondément maximaliste le système des heures d’équivalence qui permet de ne payer que 43 heures, par exemple, ceux qui en font 46 ? Profondément maximaliste les semaines de 6 jours allant jusqu’à 57 heures, en dérogation du droit du travail français et européen ? Profondément maximaliste, l’annexe 3 avec des réductions de salaires de 30 à 40%, soit des barèmes largement inférieurs à ceux du secteur audiovisuel ?

Quand vous affirmez être "ardemment favorables" à une convention collective, permettez-nous alors d’être très inquiets sur son contenu.
Très inquiets quand vous proposez de pérenniser la clause dérogatoire autorisant les abattements de salaires : cette clause, conçue à l’origine pour disparaître au bout de trois ans, temps nécessaire pour réformer le système de financement de la production, a été malheureusement rendue indéfiniment révisable, et donc renouvelable, par l’avenant signé le 8 octobre 2013. N’est ce pas suffisant ?

Très inquiets, quand vous considérez les majorations pour les heures de nuit comme des freins à la créativité et la voie vers un formatage des oeuvres. Vos techniciens, vos amis, n’ont-ils donc pas d’existence sociale, pas d’enfants à garder, pas de vie de famille, et la réalisation de vos oeuvres ne peut-elle s’accommoder du code du travail ?

Enfin et surtout, exclure de la convention collective les films à moins d’1,250 M€, comme vous voulez le faire, est une négation profonde des droits des salariés. Ceux-ci ne sont en rien responsables des budgets des films sur lesquels ils travaillent et comme vous le dites vous-mêmes : "il est impérieux d’améliorer les conditions de travail et de salaires des techniciens qui fabriquent les films avec nous et, en tout premier lieu, ceux qui travaillent sur les films les plus mal financés." Pensez-vous qu’en les excluant du texte conventionnel ils seront mieux protégés ? Que des salaires au niveau du Smic, perçus le temps d’un film, c’est-à-dire quelques semaines, leur assureront des revenus suffisants pour en vivre ?

C’est certainement le même type de logique qui vous a amenés à déposer une requête en annulation de l’extension de la convention collective pour "retourner autour de la table pour signer le même texte (sic) ou, dans le meilleur des cas, un texte sensiblement amélioré".

Que voulez-vous dire ? Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément, disait Boileau, il ne semble pas que ce soit votre cas. Ne voyez-vous pas l’absurdité d’annuler une convention pour la re-signer ?

Mesdames et messieurs du conseil d’administration de la SRF, en déposant le 14 mars dernier votre requête, des mois après que la convention ait été signée par tous les syndicats d’employeurs et de salariés, vous avez rallumé des braises en train de s’éteindre. Plus grave encore, vous vous trompez de rôle en vous substituant à nos employeurs, qui sont aussi les vôtres. N’agrandissez pas le fossé que vous avez creusé, retirez votre requête, c’est urgent. Cessez de considérer les salaires comme des coûts ou des "surcoûts", abandonnez l’idée de découper les droits des salariés en fonction des budgets des films.

Comme tout compromis, cette convention est loin d’être parfaite, en particulier pour tous les métiers de l’avant ou de l’après tournage qui ont été négligés. Une convention se renégocie chaque année, vous affirmez vouloir l’améliorer, alors chiche, améliorons là de concert, faisons la vivre, avancer, fournissons aux syndicats nos analyses, nos arguments, unissons nos forces pour faire valoir notre point de vue. Vous êtes, comme nous, des salariés, ce n’est pas nous qui vous empêchons de faire vos films.

Travaillons ensemble, en toute transparence, à une meilleure répartition des financements du cinéma. Pour que les films soient correctement produits, justement distribués, et largement rendus visibles pour tous les publics.

Lise Beaulieu & Jean-Pierre Bloc
Chef-monteurs et signataires de la pétition : "Non, la convention collective du cinéma n’est pas la cause des problèmes des cinéastes"